Étienne, assistant opérateur : « la stagiaire régie n’était pas la femme de ma vie »

Les yeux creusés, le visage accablé, Étienne (un prénom d’emprunt) joue nerveusement avec la sucrette de son café serré. Il a demandé à nous rencontrer, en cette période de rentrée parisienne, pour témoigner de sa douloureuse épreuve : une relation tuée dans l’œuf, en tournage, qui le hante depuis des jours. Émus par une histoire qui résonne en chacun de nous, c’est tout naturellement que nous avons décidé de la partager.
Comme tant d’autres, cette histoire commence lors du premier long-métrage d’Étienne, où il démarre assistant vidéo d’une équipe de techniciens chevronnés du cinéma français. « Des gens fantastiques, mais tellement classe dans leur façon de travailler qu’ils ont oublié que c’était mon premier barbecue. Ils ne m’ont peut-être pas assez protégé », explique Étienne prudemment. Pourtant, dans le travail, les premières semaines se passent extrêmement bien et Étienne prend vite ses marques à son poste.
« Tout a basculé lorsqu’on est parti tourner en province après trois semaines parisiennes. » Toulon, ses plages de sable fin, la chaleur de l’été, les touristes nonchalants… Et Marine, stagiaire du département régie, locale de l’étape pour ce gros tournage estival. Le choc est fulgurant.
« J’ai eu le souffle coupé en la voyant pour la première fois. Quand elle passait sur le plateau, je ne savais plus où j’étais, je mélangeais mes IN et mes OUT, j’oubliais de déclencher les enregistrements… » Sacrifiant la vidéo sur l’autel de la passion, Étienne s’émousse, perd ses réflexes durement acquis, et voit les relations avec son équipe se compliquer. Mais le jeu en vaut la chandelle : une relation s’installe entre Marine et lui. « On se retrouvait par hasard à la table régie, on échangeait des regards complices… ».
Un échange en appelant un autre, la relation devient vite charnelle. La passion n’a pas de barrières, et Étienne rentabilise la chambre d’hôtel où la production le loge. Tous ces changements soudains lui auraient-ils fait perdre son sang-froid ? Étienne le craint aujourd’hui, mais avait sur le coup l’impression de « vivre à 100%, sans penser au lendemain ».
L’histoire aurait pu continuer sur ce rythme, mais la fin du tournage approchant, l’idylle idéale s’est retrouvée face à ses contradictions : la distance géographique de la vie réelle, Paris contre Toulon, semble s’opposer à la poursuite de cette belle relation naissante. Mais Étienne a plus d’un tour dans son sac. « J’ai commencé, l’air de rien, à regarder les appartements en location sur la rade, et à me renseigner sur les équipes image basées à Toulon, ou à Marseille. Dans ma tête, j’étais prêt à faire ce saut dans l’inconnu ».
C’est à la fête de fin de tournage qu’Étienne se décide enfin à faire part de son projet fou. « C’était comme une déclaration, mais pour moi, quand on se regardait dans les yeux, tout était dit. C’était tellement fort… ». Étienne, amoureux fou, a la confiance de sa folie quand il exprime ses intentions à Marine. Il est à des lieues de se douter de ce qui l’attend pourtant, froidement, au tournant.
« apprendre à vivre avec la déception »
Car Marine est déjà avec quelqu’un, lui apprend-elle sans tiquer lorsqu’il lui expose son grand projet. Un marin toulonnais dont Étienne ne veut rien savoir. Les larmes viennent, il se retourne pour reprendre ses esprits, coincé entre le buffet froid et une enceinte installée par l’équipe son pour la soirée. À peine le temps de refaire face à Marine qu’elle a déjà disparu, partie danser avec un accessoiriste fort avenant. Étienne n’en revient pas : « ce n’était pas rien, on était même allés se promener sur la plage une semaine avant… »
Aujourd’hui, Étienne fait face. Modestement. « Il a fallu apprendre à vivre avec la déception, petit à petit, comme une rééducation du cœur. » Il n’a pas revu l’équipe du film, à part ses collègues de la caméra pour des rendus. « Affronter leur regard a été une telle épreuve… Je me suis laissé bercer par l’odeur de l’essence de nettoyage, je n’aurais pas tenu autrement ». Il a perdu du poids et ses illusions, noyées en bord de la rade toulonnaise un soir d’août. « Aujourd’hui je l’ai compris : la stagiaire régie n’était pas la femme de ma vie », conclut-il sobrement. « J’espère simplement que d’autres que moi ne feront pas la même erreur, grâce à mon témoignage ». Son équipe image, contre toute attente, a été très compréhensive et a préféré se concentrer sur la qualité du travail initial plutôt que sur l’erreur de jeunesse. « De belles personnes », souligne Étienne, l’œil humide.
Étienne se lève et nous quitte, prêt à repartir à l’aventure. Philosophe, il nous explique préparer un prochain long-métrage avec son équipe, signe que tout n’est pas perdu. Mieux encore, cette fois, il aura à recruter la stagiaire caméra.