Sur le tournage de ‘Silence’ : pas d’équipe son, 27 plans par jour
Le secret a été bien gardé, mais à l’occasion de la sortie en salles de Silence, les informations commencent à s’ébruiter sur le tournage du dernier projet de Martin Scorcese. Le sujet du film a permis une petite révolution sur le plateau : la fin de l’hégémonie de l’équipe son, trop souvent prioritaire sur le plateau au détriment de l’image.
Lorsque vous avez eu la chance d’accéder au plateau de Silence, rien ne vous a choqué à première vue. Le plateau est classique et tous les techniciens sont présents. L’ingénieur du son, assis derrière sa roulante, semble pourtant bien chagrin. Et pour cause : « pour des questions de règles syndicales, nous avons évidemment été obligés d’embaucher une équipe son », nous explique une source au sein de la production. « Mais nous savions dès le début de la prépa que le sujet du film nous donnait l’occasion d’opérer une petite révolution au tournage, si nous jouions nos cartes convenablement. »
Par des manœuvres politiques dignes d’un Frank Underwood dopé aux stéroïdes, les proches collaborateurs de Scorcese ont amputé l’équipe son de son immense pouvoir sur un plateau, bien connu et regretté de nombreux techniciens des autres départements. La carte maîtresse de la stratégie mise en œuvre ? Le thème du film : le silence. « Bien évidemment, l’équipe son a essayé de nous expliquer qu’il y a plein de silences différents, et que l’absence de son ce n’est pas du silence. Mais franchement, j’ai fait une école de cinéma aussi ! » Un des producteurs s’esclaffe à ce souvenir. « Au final, ils ont dû se rendre à l’évidence. » Pour ne pas perdre la face, les techniciens son entrent alors en négociation pour obtenir d’avoir un grand nombre d’ambiances silence et de silences seuls à faire. « Ça m’a coûté une chambre anéchoïque, mais je le referai demain s’il le faut ! » L’équipe son a donc rendu ses jours à jours et a passé plusieurs semaines en autonomie, émergeant de leur chambre insonorisée pour la pause déjeuner et la fin de journée.
Le changement sur le plateau a été radical, et tous les départements se sont enthousiasmés. « On pouvait déclencher la caméra quand on voulait, et voler de magnifiques moments de vie et de jeu ! » L’équipe mise en scène est excessivement enthousiaste à l’évocation du tournage. Plus de minutes angoissantes passées à attendre la validation du seul maître du plateau après Dieu, affairé derrière une infinité de potards, retardant selon son bon vouloir le terrible « Ça tourne » qui libère l’énergie créatrice de tant d’hommes et de femmes, devant comme derrière la caméra.
À la lumière, les heures de travail gagnées à ne pas construire l’éclairage autour des positions de perche ont soulagé les hommes et le budget. « Le grand retour de la lumière de face et des douches », conclut ainsi, l’œil frétillant, un proche du chef opérateur. Les assistants caméra n’étaient pas en reste, eux qui passaient une énergie folle à alimenter en image la roulante du son, assurant playback sur playback et n’oubliant jamais, jamais !, d’éteindre l’enceinte du combo avant une nouvelle prise.
La direction de production n’a pas boudé son plaisir : en faisant travailler la déco sur le plateau pendant le tournage, en montage et démontage, ou encore en installant la cantine dans un coin du plateau plutôt qu’à dix minutes à pied, les gains ont été considérables. Un chiffre résume à lui seul le bond d’efficacité : la première semaine a permis de tourner 27 plans par jour, au lieu des 10 à 12 habituels.
Seule ombre au tableau (mais pas de perche, au moins), le rendement a progressivement baissé de semaine en semaine, pour se stabiliser de nouveau à 10 environ. L’image aurait-elle profité de l’appel du vide pour prendre ses aises et son temps ? Le chef électricien, trop occupé à réserver son septième poids-lourd supplémentaire, n’était pas disponible pour répondre à nos questions.
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