Trois conseils d’un ninja pour remballer pendant les sons seuls
Dans une société qui prône la pluridisciplinarité et la polyvalence, voici un programme qui a de beaux jours devant lui : Tatsumi Okamion, machiniste japonais et ninja amateur, a été invité en France par l’ADP (Association des Directeurs de Production) pour intervenir auprès des techniciens français sur le thème de la remballe. L’objectif ? Acquérir des compétences de discrétion et d’efficacité pour remballer pendant les sons seuls et ainsi économiser de précieux quarts d’heure de travail. Dans un contexte de budgets en baisse, l’initiative a pour but de dynamiser la profession et soulager les directeurs de production.
C’est la fin de la journée de formation à Bry-sur-Marne et Tatsumi Okamion salue un à un d’une traditionnelle inclinaison du dos les participants qui quittent petit à petit le plateau. À l’issue de sa deuxième semaine d’interventions, Tatsumi est enthousiaste : chaque jour qui passe l’emmène sur un nouveau plateau pour huit heures de conseils et d’échange, prises en compte par l’Afdas bien naturellement. « Une première approche, une initiation sommaire », tempère, modeste, Tatsumi. « Le chemin est long jusqu’à la maîtrise de l’art ninja ». Mais pour Irénée Gossier, de l’ADP, qui pilote l’opération, le succès est complet : « oui, la formation complète est très longue, mais vu qu’il ne s’agit pas de former des assassins silencieux mais des techniciens discrets, on voit les fruits de l’enseignement très vite. »
Les voir peut-être, les entendre certainement pas : les leçons de Tatsumi ont pour but de développer la discrétion jusqu’à l’oubli. « L’invisibilité acoustique », comme la nomme le maître ninja amateur. Pour So Flim, et parce qu’il n’aura malheureusement pas le temps de visiter tous les plateaux de cinéma français, Tatsumi partage trois conseils fondamentaux.
« L’art de la guerre »
En fin de journée, vous êtes en guerre : l’ennemi, c’est l’ingénieur du son et ses sbires. Les techniques classiques s’appliquent pour gagner du terrain et du temps : du sabotage (retirer les piles de l’enregistreur fait généralement gagner dix minutes, débrancher le casque de l’ingénieur est considéré moins efficace) à la manipulation (lancer le débat Nagra vs. Cantar est infaillible), tous les coups sont permis. Les ninja ne s’embarrassaient pas du code d’honneur des samouraï, pourquoi vous handicaper en respectant une autre équipe ?
Tatsumi salue d’ailleurs la créativité des techniciens français à l’occasion de ses interventions. Il nous raconte une des plus belles victoires auxquels il a assisté en France : « Je suis intervenu sur un décor de supermarché et au moment des sons seuls, un assistant caméra est allé dire au responsable du magasin qu’il pouvait remettre la musique, puis il l’a envoyé au bureau de production au prétexte de récupérer un tee-shirt du film. Le temps que la régie retrouve le responsable, l’équipe technique a gagné vingt minutes de rangement. Lorsque le son est arrivé au camion pour ranger son matériel, l’équipe caméra avait déjà fermé les portes. » À la victoire sur le champ de bataille, l’équipe a ajouté le camouflet psychologique. « C’est une belle prise d’avantage pour les jours à venir », conclut Tatsumi.
Camouflage : « c’est l’habit qui fait le moine (ninja) »
Techniciens et ninja partagent l’amour du noir, et c’est un excellent début pour accéder au camouflage absolu. « On n’entend pas ce qu’on ne voit pas », assène Tatsumi. En intérieur, lorsque le noir ne suffit pas, il suffit de discuter avec l’équipe déco pour acquérir des vêtements aux motifs des murs du décor. En extérieur, treillis, salades et autres équipements de pêche et de chasse peuvent compléter la bijoute avec une grande efficacité. Après tout, qui croira vraiment avoir vu un projecteur se déplacer tout seul ? Et lorsqu’on sème le doute, on gagne un temps fou.
Si malgré tout vous êtes pris en flagrant délit, la meilleure arme reste la manipulation psychologique. Gardez une confiance absolue en votre discrétion et ébranlez les certitudes de votre adversaire. Un jeune stagiaire régie baissera les yeux en moins de dix secondes si vous le fixez intensément. Vous aurez plus de mal à déstabiliser l’équipe son, mais le jeu en vaut la chandelle.
Diversion : « Le petit bruit se dissimule dans le plus grand bruit »
C’est finalement la version japonaise de l’adage qui veut qu’au royaume des aveugles, les borgnes sont rois : lorsqu’on est amené à faire du bruit pendant la remballe, il suffit de le couvrir par un bruit plus fort. Divers stratagèmes peuvent être mis en œuvre : complice dans l’équipe technique, sonorisation des camions pour diffuser des bruits de sirène… Il est essentiel de faire preuve d’observation et de sens du rythme, pour par exemple synchroniser le roulement d’une gélate avec le passage d’une voiture. Imaginez que vous jouez à 1, 2, 3… Soleil avec l’ingénieur du son.
Fort de tous ces conseils, les équipes techniques formées par Tatsumi ont montré de réels gains de temps sur leurs remballes. Irénée Gossier parle d’un quart d’heure gagné en moyenne par technicien. « Nous attendons simplement de chiffrer les coûts supplémentaires en post-production son avant de crier complètement victoire. » En espérant qu’ils ne le fassent pas pendant un son seul.